lundi 20 juillet 2009

L'été de la fusée



Je l’avoue avant que tu ne cries au plagiat, comparse co-terrien. J’ai emprunté cet intitulé au rayonnant Bradbury ; c’est le titre même de la première de ses Chroniques Martiennes (éditions Denoël, collection Présence du Futur). Du reste, les prochains passages en italique de ce billet en sont tous extraits. Oui ! Je cite, je copie, je paraphrase… mais c’est pour la « blog » cause.

L’instant d’avant c’était l’hiver en Ohio, avec ses portes et ses fenêtres closes, ses vitres diaprées de givre, ses toits frangés de stalactites, les gamins skiant sur les pentes, les femmes emmitouflées dans leurs fourrures arpentant les rues glacées comme de grands ours noirs.

Nous sommes le 16 juillet 1969. A Cap Canaveral en Floride, -et dans le reste du monde- une tension, une fébrilité, une exaltation peut-être jusque-là inconnues étreint les humains. Cette espèce de la grande famille des primates qui a envahi la Terre s’apprête, pour la première fois de son histoire à la quitter. Trois d’entre eux partent aujourd’hui, à bord d’un vaisseau aléatoire, improbable -et finalement parfait- à l’assaut d’un caillou dans le ciel, d’une autre planète, notre douce Lune.

A environ 1500 km du pas de tir apprêté, des hommes fument cigarette sur cigarette dans une grande salle pleine de terminaux aux écrans monochromes et de téléphones à cadrans circulaires en bakélite rouge. Les cigares seront extirpés des poches lorsque la mission sera accomplie. Nous sommes dans la salle du « mission control » au Johnson Space Center de Houston, Texas. Et les ingénieurs, les techniciens présents vivent la mission de leur vie.

Puis une longue vague de chaleur balaya la petite ville. Un raz de marée d’air brûlant, comme si l’on venait d’ouvrir la porte d’un four. Le souffle chaud passa sur les maisons, les buissons, les enfants. Les glaçons se détachèrent, se brisèrent, et se mirent à fondre, les enfants rejetèrent leurs lainages, les femmes s’extirpèrent de leurs peaux d’ours, la neige se liquéfia, découvrant les pelouses vertes de l’été précédent.

16 juillet 2009. 40 ans ont passé, jour pour jour. La veille, notre Boeing 777-300 s’est posé comme une poussière de lune sur la piste de l’Aéroport Georges Bush International de Houston. Oui, l’histoire américaine a ses héros. Certains sont allés sur la Lune, d’autres pas. Mais c’est une bonne nouvelle : ne pas avoir foulé le sol de notre bienveillant satellite n’est pas rédhibitoire pour avoir un aéroport à son nom…

Notre hôtel est situé dans une zone commerciale de la banlieue de Houston, coincé entre un mall démesuré et des autoroutes tentaculaires. L’endroit est sans intérêt. Et lorsque le lendemain matin une collègue hôtesse me propose de me joindre à une expédition qui part visiter les installations de la NASA, je pousse en mon for intérieur un long soupir de soulagement.

La nouvelle se propageait de bouche en bouche dans les maisons grandes ouvertes. L’haleine embrasée du désert dissolvait aux fenêtres les arabesques de gel, effaçant l’œuvre d’art. Skis et luges devenaient soudain inutiles. La neige, tombant du ciel froid sur la ville, se transformait en pluie chaude avant d’atteindre le sol.

Installé sur la banquette arrière de notre Pontiac de location, je vois défiler derrière les vitres un paysage monotone ; un rythme aussi parfait qu’immuable : mall, parking, nœud autoroutier, mall, parking, nœud autoroutier… Le tout en cuisson lente, sous les 40° du « Lone Star Sate ». J’observe avec un mélange ambigu de dédain et d’admiration les monstrueux pick-up Ford, GMC ou Dodge qui nous doublent, brulant rien qu’en nous dépassant ce que j’imagine être des litres entiers d’essence. Leur conducteur étant bien évidemment leur seul et unique passager. Nous nous engageons enfin sur la « NASA Road » qui doit nous mener à destination. J’en profite au passage pour admirer –une fois de plus- le pragmatisme qui anime les Américains. La route qui dessert la NASA s’appelle « la route de la NASA ». What else ?

L’été de la fusée. Sur le pas de leurs portes aux porches ruisselants, les habitants regardaient le ciel rougeoyer.

Le Jonhson Space Center est un grand campus. Il est constitué d’un hall dédié aux touristes, avec attractions, projections, expositions, restaurants et boutiques souvenirs. De là, des « tram tours » sont organisés pour aller visiter les installations proprement dites. La visite bleue permet par exemple de visiter les modules d’entrainement des astronautes. Nous optons pour la rouge qui, plus nostalgique, va nous entrainer dans un endroit mythique. La date anniversaire de la mission Apollo XI ayant vraisemblablement orienté notre choix…

Business is business. Avant d’embarquer à bord du “tram”-un gentil traine-couillons aux allures de petit train de station balnéaire- nous sommes alignés devant un écran bleu sur lequel sera par la suite infographiée nuit étoilée ou fusée érigée. Pour obtenir ces authentiques clichés, il faudra débourser les 25$ du souvenir. Le convoi s’ébranle immédiatement après les recommandations d’usage.

Quelques minutes plus tard, nous arrivons au pied d’un bâtiment d’allure banale mais qui renferme un lieu où l’Histoire à écrit l’une de ses pages les plus captivantes. A l’intérieur, nous gravissons 83 marches avant d’arriver, en toute simplicité, dans la salle de contrôle des missions Apollo. Cette même salle que nous avons tant vue à la télévision et au cinéma. Rien n’a changé. On a l’impression que le temps s’est arrêté ici il y a un peu moins de 40 ans. Nous prenons place sur les fauteuils de feutre rouge, en haut, derrière la vitre, à l’endroit même où les VIP et les familles des voyageurs de l’espace assistaient, des heures durant, à l’avancement des missions. Je suis littéralement saisi, et je n’écoute que d’une oreille distraite les commentaires du retraité qui fait office de conférencier. Je suis ailleurs. Dans le temps il s’entend. Je sais que 40 ans plus tôt jour pour jour le directeur de vol de la mission Apollo XI, Cliff Charlesworth, attendait, fébrile, le « Go » de ses différents adjoints pour autoriser le départ de trois humains vers la Lune. De là où je me tiens, je vois très distinctement son bureau, surmonté d’un téléphone rouge, "so «pop-art » ! Au début, je ne vois que lui. Puis petit à petit je vois ses collègues apparaitre ça et là. La plupart ont une cigarette entre les lèvres. « CAPCOM », seule personne autorisée à parler à l’équipage mâchonne nerveusement l’embouchure d’une pipe, le « Flight Surgeon » qui va devoir surveiller l’état de santé des ambassadeurs terriens essaye d’améliorer la qualité de l’affichage sur son écran. Je vois aussi « EECOM » (en charge entre autres des systèmes environnementaux à bord du module) et « GUIDO » manipuler fébrilement leurs règles de calcul à coulisse. Eh oui, c’était ça la calculatrice de l’époque. Pense seulement, Ami Terrien, qu’il y a plus de technologie dans ton téléphone portable qu’à bord de la capsule d’Aldrin, Armstrong et Collins... Je vois les voyants clignoter, les machines cliqueter, je vois tout ce petit monde fourmiller sous mes yeux, affairé à inventer l’avenir.

Et puis je saute à nouveau dans le temps. Je me trouve précisément quatre jours plus tard. Le 20 juillet. Le soir même où je rédige ces lignes, Ami Terrien. Et par le haut parleur grésillant j’entends cette phrase, simple, courte, historique :

« Houston,Tranquility Base here. The Eagle has landed ».

Neil Armstrong, Commandant de la mission Apollo XI, vient d’élargir de quelque 40 millions de km le territoire de l’Homme, d’ouvrir sur l’infini l’espace de son imagination.

Je vois les applaudissements frénétiques, les regards fatigués mais exultants, les cigares s’allumer, les accolades se multiplier. Alors que je les contemple, derrière ma vitre, à quarante années de là, il me semble apercevoir Gene Krantz - le "Flight Director" en fonction au moment de l'alunissage - lancer un regard dans ma direction. Et j’ai l’impression que lui aussi, à quarante ans de là, m’a vu, petit touriste du futur venu toucher du bout du doigt un fragment d’histoire qu’il a contribué à écrire. Je lui rends son clin d'oeil. Bien joué, Gene...

La suite de la visite nous amène dans un vaste hangar dans lequel git, digne et colossale bien que couchée sur le flanc, une immense fusée Saturn V. C’est ce modèle de fusée qui propulsa des dizaines d’astronautes dans le cosmos à l’assaut de la lune. Ses cotes sont tout simplement impressionnantes, et je me sens minuscule. Le plus amusant, c’est qu’il ne s’agit en fait que d’une succession d’immenses réservoirs empilés jusqu’au sommet, où trône une minuscule capsule spatiale. En bas, d’immenses tuyères, évidemment incapables de soutenir le poids du vaisseau dans l’handicapante pesanteur terrestre. Un colosse à petite tête, et aux pieds d’argile.


La fusée, sur sa plate-forme de lancement, crachait des tourbillons de flammes roses dans une chaleur torride. La fusée, dressée dans cette matinée glacée d’hiver, à chaque pulsation de ses puissants tubes d’échappement créait un nouvel été.

La fusée génératrice de climats, apportait pour un court moment la canicule sur Terre.


Il fait extrêmement chaud à Houston ce jour là. Et sur le parking du centre spatial, au moment où nous rejoignons notre voiture abandonnée pour quelques heures au béton brulant, je sens un vent chaud, dense et puissant se lever puis m’envelopper.

Une brise, peut-être vieille d’une quarantaine d’années...

Montreuil, le 20/07/09


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