jeudi 11 mars 2010

Rio


Bonjour l'Ami terrien,

Copacabana, Pain de Sucre, Ipanema, Havaianas, Corcovado, Caïpirinha, maracana, cachaça... Oui oui, rien ne manque alors que je découvre cette ville-plage pour la première fois. Le soleil est au rendez-vous - tout du moins dans la journée, le soir c'est une autre histoire. Une journée pour voir ce pourquoi Rio de Janeiro fascine le monde entier depuis des dizaines d'années. Ambitieux.
Premier point, "noir" : tous les habitués de la ligne, hôtesse brésilienne comprise, me rappellent que je ne dois sortir qu'avec le strict minimum, pas de montre, une photocopie du passeport, du liquide à partager dans les différentes poches. "Les favelas sont proches, dès que tu t'éloignes un peu du littoral, tu risques de te retrouver dedans sans t'en rendre compte". Engageant. Les petites anecdotes de la ligne me reviennent. Tel captain' s'est fait arracher la lèvre à coups de dents par une bande d'enfants carnivores qui voulaient se mettre à la technique photographique, l'appareil photo du dit pilote leur ayant semblé fort approprié; telle hôtesse dut abandonner sac à main et lunettes noires, ayant expérimenté sur sa hanche fraîchement bronzée le contact glacé d'une lame conquérante. Tel copi, enfin, rêvant à la fille d'Ipanema, via les écouteurs de son baladeur sur la plage éponyme, dut sous la menace de quelque bandit urbain abandonner Ipod (normal), puis Ray-Bans (classique), puis tee-shirt (bon, il fait beau, ça passe...), puis baskets (bon, sur le sable, pieds nus ça passe !), puis bermuda (euh...), puis caleçon (......). L'histoire raconte que le malheureux retourna littéralement à poil au Sofitel Copacabana, ce qui j'en conviens ne doit pas laisser que de bons souvenirs.

C'est donc dans une sérénité d'esprit totale que j'embarque dans un taxi avec trois de mes collègues ce matin-là. Pour toi Ami Terrien, je prends tous les risques, puisque j'emmène avec moi mon petit appareil photo afin de te présenter ici-même au célèbre Christ Rédempteur. Je me pince les lèvres, bien fort.

Tarif négocié avec notre chauffeur. Pour 150 réals (environ 60€), ils nous emmène tous les quatre, nous attend sur place puis nous rapatrie sur Copacabana. Évidemment, afin que monsieur rentabilise sa journée, pas de temps à perdre. La conduite est sportive. Nous le baptiserons Ayrton.

Ayrton nous arrête à un belvédère peu avant d'arriver au Corcovado. Très fort Ayrton, car la vue y est splendide, mais surtout le point de vue est situé juste sous la brume qui entoure le Christ quelques centaines de mètres au-dessus.




Lorsque nous arrivons au parking, Ayrton nous indique où acheter les tickets. Pas de temps à perdre, c'est à peine si on ne se fait pas engueuler parce qu'on prend trop son temps. Nous finissons par embarquer à bord d'un minibus qui va nous permettre d'avaler les quelques dizaines de mètres de dénivelé supplémentaires à gravir. Par la vitre, Ayrton nous fait de grands signes d'adieux. Un vrai sentimental cet Ayrton.

Arrivés au sommet de la colline, l'ambiance a changé. Il fait frais, c'est très agréable. La brume nous entoure de toute part. Pour le panorama, nous repasserons. Mais pour l'ambiance c'est assez sympa. Nous avons littéralement la tête dans les nuages. Nous voyons ces nuées de gouttelettes d'eau tournoyer autour de nous en un ballet qui paraît éternel. De temps à autre, une percée fugace au milieu des nuages s'opère, le vertige arrive alors lorsque l'on découvre pour quelques secondes la majestueuse baie de Rio et ses plages blondes. La lumière du soleil s'engouffre dans la brèche, avide de sécher, chauffer, brûler peut-être. Puis les paupières de vapeurs se referment comme elles se sont ouvertes, abandonnant le visiteur à ses rêves de hauteur. Les têtes se tournent alors vers l'immense statue. Un escalator vous mène à ses pieds. Ce jour-là, le Christo Redemptor se drape pudiquement de la brume qui l'entoure, alors que des ouvriers ont monté un gigantesque échafaudage autour de lui. Une bonne sœur et un prêtre, micro en main, bénissent chaque ouvrier avant qu'il ne se lance à l'assaut de la statue.

Face au colosse de pierre, un nouveau panorama aveugle.


Lorsque nous redescendons, Ayrton est là, au taquet. Je reprends ma place dans le véhicule, à l'arrière au milieu. Et c'est là que je réalise que pour le prix de la course j'ai droit à un tour de Space Mountain, voire - et c'est tellement plus à la hauteur des lieux - de Tonnerre de Zeus. L'a pas que ça à faire Ayrton. Enhardi par les diverses icônes qui pendouillent partout dans son Opel, il dévale la montagne en jouant de la boite.

Pour la suite, petite promenade sur Copacabana. Nous apprécions la dextérité des joueurs de beach volley qui s'évertuent à ne jouer qu'avec leurs pieds et leur tête. Assez incompréhensible pour un gus comme votre serviteur qui n'a jamais réussi à tirer un ballon de foot tout droit.
Sur Ipanema, nous observons les enfants qui, consciencieusement font leurs devoirs comme il se doit à la sortie de l'école. "Pour demain... Vous me ferez 10 bottom turns, 3 aerials, et puis n'oubliez pas de bosser vos Off the Lip, parce que demain y'a contrôle". Pieds nus, cheveux au vent et la planche sous le bras comme un parisien porterait sa baguette, les gamins retardataires courent vers le spot idéal pour s'atteler avec ferveur aux exercices prescrits par le maître.
Certaines vagues sont impressionnantes. Je m'enhardis à mettre mes pieds dans l'eau. Un collègue nous exhorte à la baignade. L'eau est glacée. "Non... je ne sais pas... je crois que l'océan ne veut pas de moi aujourd'hui, mais vas-y on te regarde !"


Je contemple l'horizon, sur lequel la brume s'est posée. J'ai une pensée pour mes collègues, qui quelque part dans ce nuage vaporeux reposent au côté de leur A330 abîmé. Je remarque que personne dans l'équipage n'a jusque-là évoqué l'Accident. Pudeur ? Superstition ? Une page définitivement tournée ? Je ne sais trop que penser. Je suis pourtant certain que chacun de nous y a pensé, une seconde au moins, en silence.



Le lendemain soir, dans la navette qui nous mène à l'aéroport Carlos Jobim de Rio, nous empruntons une partie de la route sur laquelle Ayrton nous a bringuebalés la veille. Au détour d'un pont et d'un pan de brume, je devine, en haut de la montagne, la silhouette massive du Christ Rédempteur veillant sur la baie.

Les bras à l'horizontale, je jurerais qu'il "fait l'avion"...



Montreuil, le 11/03/10

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