samedi 20 mars 2010

48h à Tokyo


Konichiwa, l'Ami terrestre !

Comme tous les mois depuis quelques mois, j'ai posé en désidérata, un "4ON" New York (deux nuits dans la Big Apple).
Comme tous les mois depuis quelques mois, mon quota de points est largement insuffisant pour obtenir ce genre de rotation ô combien convoitée.
Comme tous les mois depuis quelques mois, je me mets en quête d'un plan B. Dans la compagnie, ce ne sont pas les escales qui manquent. Je parcours des yeux les différents trigrammes qui se déroulent sur l'écran... BOS, LAX, ICN, RUN, SXM... bof... pas cette fois ! ORD, DKR, NRT. Tiens... N-R-T. Ces trois lettres semblent m'appeler brusquement, et vibrent devant mes yeux comme une sorte de défi. NRT pour Narita, l'un des grands aéroports de la banlieue de Tokyo, Japon. Jamais été. Paye bien. Change un peu des USA. Et surtout promesse du plaisir exquis de faire de nouveaux premiers pas quelque part. A peine un an et demi que je sévis sur le réseau long courrier. Et déjà ce genre de plaisirs se fait rare.

Je clique, je clique, j'y suis.

Samedi, 9h

Et voilà. Je me retrouve une nouvelle fois à bord d'une navette équipage, au petit matin lorsque dans ma tête il est encore tard le soir. Je ne reviendrai pas sur les conflits internes qu'une telle situation peut déclencher (suis ce lien Ami Terrien pour te rafraîchir la mémoire). Vol nominal, sans histoire. Il fait plutôt bon. Le trajet est long. J'aimerais m'endormir mais je ne peux pas. Comme à chaque fois que je découvre un pays pour la première fois, j'ai l'angoisse de manquer un détail, une image, une couleur en fermant les yeux pour m'assoupir.
Je suis au Japon.
Comme pour me confirmer ce fait, le dossier du siège qui me précède m'indique qu'un réseau wifi est disponible dans le bus...

Samedi, 11h.

Nous sommes arrivés à l'hôtel; l'établissement imprime sa silhouette massive sur le quartier excentré de Daïba. Pour faire un parallèle, ce coin serait un peu à Tokyo ce que La défense est à Paris. J'ai du sable plein les yeux. Certains de mes collègues, encore en uniforme, se rendent au petit déjeuner. Je n'ai pas ce courage et rejoins le 1oème étage où ma chambre m'attend. J'opte pour un petit déjeuner américain en room-service. Déshabillé, douché (ça c'est aussi un grand plaisir d'après vol !), j'enfile le kimono blanc laissé à mon attention dans la penderie et me glisse sous la couette. Nous nous sommes donné rendez-vous avec les collègues pour aller diner vers 18h. Le réveil est calé à 17h30, au cas où, car je devrais dormir deux petites heures. Maximum.

Samedi, 17h30.

J'ouvre les yeux, je reviens de loin. Mince. "Quel jour est-il ? Quelle heure on est ?". 17h30. J'ai bel et bien dormi plus de 5h d'affilée. Alors qu'à Paris et pour mon horloge biologique il est 9h du mat, ici le soleil déjà bas sur l'horizon nous envoie ses derniers rayons avant d'abandonner Tokyo à la nuit. Beaucoup de PNC m'avaient dit qu'ils ne connaissaient Tokyo que de nuit, qu'ils n'avaient pas la moindre idée d'à quoi pouvait ressembler cette ville le jour. Je commence à comprendre pourquoi.

Samedi, 18h.

Ponctuel comme toujours, j'attends mes collègues à la réception. Le groupe ne sera pas au complet avant 19h. Classique. Certains veulent aller dîner près de l'hôtel et rentrer en suivant. Tandis qu'une hôtesse propose de nous emmener dans un petit resto qu'elle-connaît-mais-c'est-dans-une-petite-ruelle-qu'il-faut-qu'elle-retrouve-mais-c'est-pas-gagné-oui-faut-prendre-le-métro-le resto ?-c'est-un-minuscule-yakitori-même-qu'à-côté-y'a-un-minuscule-bar-mais-non-on-rentrera-pas-tard-moi-aussi-je-voudrais-visiter-la-ville-demain. Bref, le plan à l'air tout ce qu'il y a de plus foireux. J'opte évidemment pour celui-ci étant donné que ma journée commence, de toute façon je me vois difficilement rentrer à l'hôtel pour compter les heures jusqu'au petit dej.

Samedi, vers 20h.

Avec deux collègues, dont l'hôtesse qui nous servira donc de guide ce soir, nous quittons enfin l'hôtel après avoir étudié plans, cartes, et harcelé gentiment le concierge. Notre guide est sûre d'elle. La station de métro : quasiment sûre que c'est ça. Ensuite ? y'a un magasin Uniqlo, faut juste qu'on le trouve, après c'est bon je vois. Je sens que ça va être le bordel. Mais c'est tellement marrant le bordel dans une ville inconnue...
Le métro ahhhhhh le métro. J'ai vite laissé tomber. Notre guide est douée. Capable de repérer la bonne station écrite en "vermicelles" sur un panneau qui fait bien 10 mètres de large.

Samedi, vers 21h.

Sitôt sortis du métro, nous tombons nez à nez sur l'Uniqlo, notre phare urbain. De là, notre guide retrouve la ruelle en 30 secondes. C'en est presque décevant. C'est vrai quoi ! A quoi ça sert de faire 10000 bornes, d'atterrir dans un pays qu'on ne connaît pas, avec des panneaux indicateurs qui n'indiquent rien à qui ne maitrise pas la langue de Dragonball, si c'est pour trouver son chemin du premier coup ??
La ruelle est effectivement pittoresque au possible. 1m50 de large, maxi. Les bâtiments sont si proches que bien qu'à l'extérieur, on ne peut voir le ciel. A droite comme à gauche, que des petits restaurants ouverts sur la rue. La plupart proposent des yakitoris, ces petites brochettes de tout et son contraire, grillées sous les yeux des clients. Quelques-un proposent des plats plus... comment dire... dépaysants. A l'image de ces "sashimis de foie de bœuf" que ce japonais avale avidement, un verre de saké en guise d'antidote. Au cas où. J'ai l'impression d'être Julie Andrieu dans Fourchette & sac à dos, l'excellente émission de France 5. Bon, le charme féminin en moins, je te l'accorde, Ami terrien.



Samedi, vers 22h00.

Cela fait un petit moment que nous sommes attablés, ou pour être exact accoudés au comptoir de ce minuscule estaminet bondé. Notre hôtesse guide se fait ouvertement draguer par son voisin japonais, qui tient à lui faire gouter tous les plats de la carte, poussant moult "ôôôôôôôô" dès qu'elle bouge un cil. Nous avons bien mangé (on ne saurait vraiment dire quoi), et la bière locale fut fort à propos pour accompagner toutes ces petites brochettes. Ah oui, pour info, les fameuses brochettes boeuf-fromage de nos restos japs en France, en réalité eh bien ça n'existe qu'en France...

Samedi, à une heure indéterminée.

Alors que nous quittons notre ruelle, mes collègues m'assurent que comme c'est mon premier Tokyo, on DOIT aller faire un tour à Roppongi. Pour faire simple, Roppongi c'est LE quartier branché, avec ses bars et ses boites où la jeunesse tokyoïte vient se défouler tous les samedis soirs avant de rentrer dans le moule. Bof, comme tu le sais, les discothèques c'est vraiment pas mon truc. Mais bon, ici c'est Tokyo, ici c'est la nuit alors que dans ma tête c'est le jour. Alors je suis mes collègues de bon coeur.
Premier arrêt au 911. Bondé. Que d'la tétèch', qui t'pet les 'rones, un max de branchés, tu mates, j'te mates, pas trop mon truc... Les paroles de Java me reviennent alors que j'observe, une Kirin pression à la main, ces gens se déhancher sur la piste, pendant que sur des écrans plats défilent en noir et blanc les aventures de Mister Bean. Oui, Rowan Atkinson doit être ici une icône pop underground. Comme Mireille Mathieu. Drôle de pays quand-même. Et pas à une contradiction prêt ! L'air dans la boîte est suffocant. Les gens fument cigarette sur cigarette quand dehors, sur le trottoir, il est interdit de fumer. Il faut croire que monsieur Evin avait dû forcer sur le saké le jour où il vint au Japon expliquer les grands principes de sa loi.
La bière me tourne la tête, l'air saturé de sueur et de nicotine me donne une légère nausée, et la musique techno me vrille les tympans. Mr Bean - je suis bon public- me fait marrer, mais ce n'est pas une raison suffisante pour rester. J'ai envie de rentrer.
Par chance, notre hôtesse guide nous propose rapidement de "bouger". Dehors, l'air frais me fait du bien. Sur le trottoir, des dizaines de rabatteurs, africains francophones pour la plupart, nous exhortent à pousser la porte de l'établissement qui les emploie. Mes acolytes décident d'un dernier verre au Motown 2.
L'ambiance ici est bien plus "bon enfant". Un grand bar en bois, des affiches vintage, et une programmation musicale bien moins élitiste : Jackson, Abba, et même les Gipsy Kings côtoient quelques tubes du moment. Contrairement au 911, où les gens dansaient concentrés, genre c'est sérieux c'est pas de la rigolade, ici personne ne semble se prendre la tête. Certains japonais, hilares, nous entraînent même dans des chorégraphies bizarres. Je finis par me prendre au jeu et passe finalement une très bonne soirée.
Je remarque quelques occidentaux, des hommes en costume pour la plupart, qui l'air hagard déambulent entre les danseurs. Ils n'ont pas l'air très heureux. Leur visage est fermé et personne ne semble les remarquer, si bien qu'au bout d'un moment je me demande s'ils ne sont pas des esprits que je suis seul à voir. S'expatrier ici, quand on n'est pas spécialement fan de la culture japonaise, ça ne doit pas être rose tous les jours.



Dimanche, 2h30 du matin.

A 2 contre 1, nous avons remporté la décision du retour à Daïba. La porte du taxi s'ouvre automatiquement et en silence après que le chauffeur a appuyé sur quelque interrupteur. Nous avons passé une bonne soirée, et je suis content d'avoir opté pour le plan foireux. Rendez-vous est pris tout à l'heure vers 13h30 pour aller voir à quoi ressemble Tokyo de jour. Je m'endors vers 4h devant un film très très ennuyeux avec Charlotte Rampling.

Dimanche, 9h.

5h de sommeil. Pas mal. Après le petit déjeuner, je me rends au centre commercial situé en face de l'hôtel. Il faut que je trouve un drugstore car je n'ai plus de solution de lavage pour mes lentilles. Je finis par trouver une sorte de CVS. Le vendeur ne comprend pas mon anglais pourtant impeccable (!). Qu'à cela ne tienne, j'avais prévu le coup et avais demandé à bord à ma collègue hôtesse japonaise de m'écrire la phrase qui allait bien sur un bout de papier. Le doute m'habite au moment où je tends le mot au vendeur. Elle n'avait pas l'air spécialement facétieuse, mais si elle avait voulu me faire une blague...

"Bonjour monsieur le vendeur ! Vous avez un vilain gros nez !"
"Bonjour ! je suis un imbécile de touriste français ! Il faut me taper !"
"Bonjour ! J'ai des hémorroïdes et des champignons, pouvez-vous m'aider ?"

Bref, elle aurait pu s'amuser. Mais non. Pas de regard menaçant, pas de coups de bâton, et le flacon que l'on me tend ne ressemble en rien à celui d'un fongicide. Mission accomplie, c'est gagné, j'ai passé le premier boss, et j'ai gagné une vie supplémentaire. Heeeere we gooooo !



Dimanche 13h30.

Je retrouve Agnès pour la balade prévue la veille. Elle m'emmène à Shinjuku, observer le balais incessant des voitures puis des piétons qui envahissent à tour de rôle l'immense carrefour.
Puis nous marchons jusqu'à Harajuku, quartier populaire où il n'est pas rare de croiser de drôles de personnages ou très colorés (version manga) ou très monochromes (façon gothique). Mais en ce dimanche après-midi ensoleillé, la petite rue Takeshita-dōri est envahie de familles sages. Pourtant, les boutiques qui équipent les "gothic lolitas", les "cosplays" ou encore les "pinks" sont bel et bien ouvertes... Ça et là, de longues files indiennes se forment, et je découvre qu'il s'agit de vendeurs de crêpes bien françaises qui font un malheur. En vitrine, la reproduction en caoutchouc de la "fraise-chantilly-cheesecake" me fait de l'oeil. Mais je résiste.





Dimanche, vers 18h.

Nous nous perdons un peu dans le quartier, plus ou moins volontairement, avant de reprendre la Yamanote line, direction Shimbashi en quête d'un sushi bar. Celui recommandé par notre précieuse fiche escale. Évidemment, nous ne le trouverons jamais et nous rabattrons sur une assiette de gyozas (des raviolis frits) et sur une soupe aux nouilles-soja-et-porc.

Dimanche, 21h.

Nous voilà rentrés à l'hôtel. Demain réveil 9h pour assurer les quelque 12h du vol retour.
Content de ce premier contact rapide avec le Japon. A la vérité, je ne me suis pas senti aussi perdu dans la traduction que Bill Murray dans le film de Sofia Coppola. Mais c'est certainement parce que je n'étais pas seul.

Si ça avait été le cas, je me serais à coup sûr perdu dans le métro, certainement je ne serais pas allé en discothèque, assurément je n'aurais pas dormi. Alors, chaussé de mes mules en éponge, vêtu d'un kimono trop grand, les mains serrées sur mon ventre, assis seul sur mon lit ferme, j'aurais écouté passer les heures .



Une prochaine fois peut-être ? En attendant, comme tous les mois, je vais poser mon 4on New York.

Dieu sait où il me mènera cette fois ?

Montreuil, le 20 mars 2010

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